La Galicie, terre d'origine d'Eva Fedirko

Introduction

Le nom « Galicia » (Galicja en polonais) est un terme historique et, en tant que tel, n'est plus utilisé pour décrire la région. Et la région elle-même est maintenant divisée entre la Pologne et l'Ukraine. Alors, où se trouvait exactement cette Galice ? Obtenez une carte de l'Ukraine et cherchez Lviv (Lwów en polonais), puis allez un peu vers l'est jusqu'à ce que vous atteigniez Ternopil (Tarnopol en polonais). De là, tracez un peu au sud-ouest jusqu'à Ivano-Frankovsk. Ce petit triangle est la Galice originelle.

"Mais attendez!" vous pourriez dire: "C'est toute l'Ukraine."

Oui, c'est MAINTENANT. À cette époque, la Pologne s'étendait assez loin à l'est. En fait, Lvov était une ville polonaise. La Galice a réussi à se développer assez considérablement au fil des ans. Après la partition de la Pologne, elle est devenue une province autrichienne incorporant Cracovie (Cracovie) à l'ouest, Lublin au nord, et allant aussi loin au sud-est que l'actuelle frontière moldave. Un assez grand morceau de terre, ne diriez-vous pas?

Il y a eu d'autres changements territoriaux au fil des ans. La Russie a obtenu un peu de terre galicienne au nord, il se passait beaucoup de choses à la frontière orientale, les gens continuaient à faire des allers-retours, les trucs historiques habituels. Le grand événement s'est produit en 1873, lorsque la province est devenue officiellement une partie autonome de l'empire austro-hongrois. Le polonais a été réinstitué comme langue officielle (avec l'ukrainien à l'est) et tout le monde espérait un avenir plus grand, meilleur et plus brillant.

Malheureusement, les changements n'ont pas été au rendez-vous. La Galice était peut-être autonome, mais c'était aussi l'une des provinces les plus peuplées et en même temps les plus pauvres de l'Empire.

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Ainsi, vers les années 1880, les paysans ont décidé qu'ils en avaient assez de vivre dans une pauvreté abjecte et ont commencé à déménager en masse. D'abord en Allemagne, puis aux États-Unis, au Canada et au Brésil.

Les Galiciens n'ont jamais été une race homogène, ils étaient un mélange typique d'Europe de l'Est d'un peu de tout : Polonais, Ukrainiens, Juifs, Allemands et ainsi de suite. Et même en émigrant, ces différentes nationalités se sont collées. Les Allemands ont naturellement migré vers l'Allemagne, les Ukrainiens – au début vers le Brésil, et les Polonais et les Juifs – vers les États-Unis et le Canada.

Après la Première Guerre mondiale, lorsque la Galice occidentale est devenue une partie de la République de Pologne nouvellement restaurée, la frénésie d'émigration s'est quelque peu ralentie. Les estimations varient, mais au total, entre plusieurs centaines de milliers et un million de personnes sont parties à la recherche d'un avenir meilleur.

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L’histoire de la Galicie en détails

Ce peuple a fait partie de la Russie de Kiev pendant 360 ans, puis a passé 420 ans sous la domination polonaise et 155 ans sous la domination autrichienne.

Mise en perspective historique

La Galicie avant l’annexion par les Habsbourg.

L’identité galicienne naquit à la fin du Xéme siécle lorsque le prince Vladimir, tout juste monté sur le trône de Kiev, conquit la Galicie. La Galicie entre donc dans l’orbite du monde russe. Au XIIIème siécle, elle est menacée par l'avancée mongole. En 1387, la Galicie passe sous le contrôle du roi de Pologne. Le fait que la Galicie se soit trouvée dans l’aire politique et culturelle russe n’est pas sans conséquence à long terme.

En effet, la Galicie fut christianisée par les moines orthodoxes. Lorsque le roi de Pologne prit le contrôle de la Galicie, il mena une politique favorable au catholicisme. Les orthodoxes de Galicie sont alors qualifiés de Ruthènes. En 1596, une grande partie du clergé orthodoxe se rallia à l’Union de Brest avec Rome. Il s’agit des Uniates ou Eglise grecque de rite latin, ou encore catholiques grecs. L’orthodoxie, bien qu’interdite, semble avoir été longuement pratiquée. Par la suite, une partie importante de la population était uniate et, comme on le verra, les conflits entre catholiques et uniates (qui recouvraient des conflits entre Polonais et Ukrainiens) étaient fréquents. Par ailleurs,la Galicie comptait de petites communautés arméniennes et juives.

La Galicie connut une certaine prospérité au Moyen-Age, grâce au commerce du sel, et surtout des fourrures. La ville de Lvov (ou Lemberg ou Lviv), se trouvait sur l’une des routes du commerce des fourrures.​​

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L’annexion à l’Empire Austro-Hongrois.

En 1772, lors du premier partage de la Pologne, la Galicie fut intégrée au royaume des Habsbourg sous le nom de province de la couronne (Kronland) de Galicie et Lodomérie. Par la suite, d’autres territoires lui furent rattachés, la Bucovine et la région de Cracovie. A la fin du XVIIIème siècle, la Galicie s'étendait sur 150000km2 et comptait 3,7 millions d’habitants. L’empereur Joseph II qui exerçait la corégence avec sa mère Marie-Thérèse, était un empereur modernisateur inspiré par la philosophie des Lumières.

Il effectua plusieurs voyages en Galicie et accomplit une œuvre réformatrice d’envergure. La Galicie fut administrée par un gouverneur, dotée de pouvoirs importants, qui se trouvait à la tête d'une administration relativement nombreuse. Joseph II limita les pouvoirs de la noblesse polonaise. Le gouverneur était assisté d'une Diète, mais celle-ci disposait de peu de pouvoirs. Joseph II s’efforça d'améliorer la condition paysanne, pas uniquement par philanthropie, mais pour accroître les ressources de l’État. Malgré les mises en garde de ses conseillers qui estimaient qu'il était "toujours dangereux de passer d’un seul coup de la barbarie la plus profonde à la plus grande perfection extrême d'un État bien réglé " (!), Joseph II mit un terme aux exactions les plus criantes dont étaient victimes les paysans (ils ne pouvaient plus être battus ou mis à mort sans procès), limita fortement la corvée et surtout abolit le servage en 1782.

Il entreprit également une réforme agraire en distribuant des terres prélevées sur les biens de l'Église ou sur les terrains communaux. Dans le domaine religieux, la Galicie connut les mêmes réformes que le reste de l'Empire.

De nombreux couvents furent fermés, et les terres furent redistribuées aux paysans.

Joseph II réorganisa également l'Eglise uniate qui devint un élément essentiel dans la prise de conscience nationale ukrainienne en Galicie.

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L’évolution de la Galicie jusqu’en 1919

Au XIXéme siècle, la Galicie connaît le développement du mouvement des nationalités, en particulier celui du nationalisme polonais.Le soulèvement de Varsovie en 1830 fut suivi avec attention en Galicie et donna naissance à de nombreux cercles d'étude consacrés à la culture polonaise. Le nationalisme ruthène se développe également. Les cercles nationalistes polonais étaient plus ou moins virulents et "conspiratifs. Ils étaient l'objet d'une surveillance des autorités autrichiennes. Notons à ce propos que le père du célèbre écrivain Léopold Sacher-Masoch était le directeur de la police chargée de la répression du nationalisme polonais. En 1846, les nationalistes polonais organisèrent un soulèvement en Galicie occidentale, mais ils ne furent pas suivis par les paysans qui attaquèrent les châteaux des nobles polonais. La révolte fut réprimée.

Les révolutions de 1848 touchèrent la Galicie. En mars 1848,à l'image de ce qui se passait à Paris et à Vienne, des barricades furent édifiées à Lemberg, et des nationalistes polonais demandèrent des réformes à la fois politiques (plus de liberté) "culturelles" (reconnaissance de la langue polonaise) et socialex (amélioration du sort des paysans) Mais en novembre 1848, la révolte fut durement réprimée.

Dans les années 1860 François-Joseph mena une politique plus libérale, et certains de ses conseillers souhaitaient s'appuyer sur les Polonais de l'Empire. Le Parlement de Lemberg obtint plus de pouvoir, mais le système électoral favorisait les Polonais, au détriment des Ruthènes.

La Constitution autrichienne de 1867 qui stipulait que chaque peuple avait " droit à la sauvegarde de sa nationalité et de sa langue" favorisa le développement des mouvements nationaux polonais et ruthènes.

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Première guerre mondiale et période de l'entre-deux-guerres

Pendant la Première Guerre mondiale, la Galicie fut le théâtre de durs combats entre l’Autriche-Hongrie et la Russie, dont témoigne l'œuvre de l'écrivain croate Miroslav Krleza.

Pendant la Première Guerre mondiale, la Galicie se trouva à plusieurs reprises sur la ligne de front entre les troupes russes et austro-allemandes : elle eut à souffrir destructions, pillages et épidémies. À la fin de la guerre, en octobre 1918, elle est revendiquée à la fois par les comités polonais de Joseph Pilsudski et par les comités ukrainiens d'Eugène Pétrouchevitch qui s'affrontent autour de Lwów / Lviv. Les Polonais, mieux armés et soutenus par les Alliés occidentaux (mission Faury) l'emportent et prennent le contrôle de la Galicie. En 1919, l'Armée rouge russe envahit la Galicie. Ni les bolcheviks russes ni les troupes polonaises ne respectent les conventions de Genève et les atrocités se multiplient : les prisonniers sont torturés et exécutés9.

En juillet 1919, les Polonais sont victorieux lors de la bataille de Lwów (en), à l'issue de laquelle a lieu un pogrom de trois jours contre les Ukrainiens et les juifs accusés d'avoir soutenu les bolcheviks et leur terrible Tchéka.

Cette guerre dure près de deux ans et s'achève par la paix de Riga : la Russie soviétique reconnaît à la Pologne la possession de la Galicie, formant alors l'une des contrées des kresy, zone orientale de la Pologne. La province prend le nom de Małopolska soit « Petite-Pologne ». Juifs et ukrainiens y sont fortement incités à se « poloniser » sinon par la religion, du moins par la langue, l'enseignement se faisant en polonais. Quiconque est soupçonné d'être communiste peut finir en prison10.

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En 1918, des conflits éclatèrent entre Polonais et Ukrainiens qui souhaitaient être indépendants. À la chute de l’Empire austro-hongrois se forme, en octobre 1918, une brève République Nationale de l’Ukraine de l’Ouest, l’armée ukrainienne s’oppose aux troupes polonaises qui reprennent la capitale, puis l’ensemble de la région en juillet 1919. Durant la bataille de Lwów, les soldats polonais se livrent durant trois jours à un pogrome[3]. Après que, le 18 juin 1919, la Pologne eut obtenu lors de la conférence de paix de Paris le mandat provisoire d’occupation de la Galicie orientale jusqu’à la rivière Zbrucz marquant la frontière, la Galicie orientale fit désormais aussi partie de la Pologne.

La Galicie fut intégrée à la Pologne entre 1918 et 1939. Quant à la Bucovine, elle fut rattachée à la Roumanie.

La Galicie fut ensuite intégrée dans les territoires orientaux de la Pologne reconstituée, formant l’une des contrées des kresy, zone frontière ou tampon de la Seconde République, peuplée de minorités bigarrées. La province perd son nom autrichien et disparaît, avec la Galicie occidentale, sous le nom de Małopolska (Petite Pologne). À partir du milieu des années trente, l’idéal d’une grande Pologne multiethnique de Pilsudski fait place à une politique de polonisation agressive, ouvertement antisémite, et à la « pacification » des villages ukrainiens.

Après la première guerre mondiale, au cours de laquelle la Galicie fut un des théâtres des opérations militaires opposant l’Autriche-Hongrie et la Russie, et au lendemain du rétablissement de l’indépendance de la Pologne le 11 novembre 1918, il s’avéra rapidement que la monarchie habsbourgeoise avait laissé un terrain miné. Les problèmes non résolus des nationalités se réfractèrent dans cette région et conduisirent à de nombreuses épreuves de force au sein de la république de Pologne entre 1918 et 1939. Ce fut le cas particulièrement, en Galicie orientale, des relations très tendues entre le Polonais et les Ukrainiens.

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Seconde guerre mondiale et période de l'après guerre

En 1939, en vertu de l’accord secret Molotov-Ribbentrop, tandis que l’Allemagne envahit la moitié occidentale de la Pologne, l’Union Soviétique s’empare de ses confins orientaux, dont la Galicie orientale. Ce territoire est incorporé, à la suite d’un référendum truqué, à la République Soviétique d’Ukraine, l’URSS y mène une politique d’ukraïnisation, mais aussi de collectivisation forcée et de mise au pas idéologique, assortie d’une violente répression (déportations, emprisonnements, exécutions) qui touche dans l’ordre chronologique les anciennes élites politiques, économiques et intellectuelles polonaises, les réfugiés juifs, puis les nationalistes ukrainiens[4]. Fin juin 1941, la région est envahie par les Nazis.

En 1939, les protocoles secrets du pacte Hitler-Staline (de non-agression mutuelle, d'invasion de la Pologne et de partage de celle-ci) donnent à l’Allemagne nazie la moitié occidentale de la Pologne, tandis que l'URSS stalinienne met la main sur sa partie orientale. La Galicie est ainsi partagée. Pour les Juifs galiciens, mieux vaut se retrouver du côté soviétique pour échapper aux premières persécutions, annonciatrices de la Shoah (1941-1945), mais pour les Polonais, c'est l'inverse. Toutefois, personne n'est à l'abri d'un côté comme d'un autre, et en Galicie orientale à majorité ukrainienne, l'URSS mène une politique de terreur rouge et de collectivisation forcée, assortie de massacres et de déportations qui déciment les élites politiques, économiques et intellectuelles tant polonaises, qu'ukrainiennes et juives, tandis qu'en Galicie occidentale à majorité polonaise, ce sont les nazis qui en font de même.

Fin juin 1941, la Galicie entière est conquise par la Wehrmacht dans le cadre de l'invasion nazie de l'Union soviétique, à la suite de la rupture du pacte Hitler-Staline.

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Les nazis procèdent à un « nettoyage ethnique » et racial au détriment des Juifs et des Tziganes principalement. Ils intègrent la Galicie au « Gouvernement général » où ils mettent progressivement en œuvre la « solution finale » : les 500 000 Juifs (12 % des habitants, environ 4 millions au total) sont soit exécutés sommairement par les « commandos mobiles de tuerie », soit rassemblés dans des ghettos et camps de travaux forcés. Au cours des années suivantes, ces ghettos seront vidés par déportation vers les camps d'extermination nazis, notamment celui de Bełżec.

Par ailleurs, 150 000 Polonais et 200 000 Ukrainiens sont déportés en Allemagne comme travailleurs forcés. Seuls quelques milliers des Juifs galiciens ont survécu à l'occupation nazie, et des populations de villes entières, telles Brody ou Belz, ont été massacrées, avec un soutien de collaborateurs, surtout ukrainiens.

En revanche l’OUN et l’UPA ukrainiennes, ainsi que l'Armia Krajowa polonaise et les organisations de partisans juifs, entrent en résistance contre les Allemands, mais occasionnellement s'affrontent aussi entre elles dans le chaos où se trouve plongée la région.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Galicie occidentale revient à la république populaire de Pologne, la Galicie orientale à l'URSS et, au sein de celle-ci, à la république socialiste soviétique d'Ukraine.

De septembre 1944 à avril 1946, les deux États procèdent à un échange de populations, portant sur environ 450 000 personnes, les polonais résidant dans la partie orientale attribuée à république socialiste d'Ukraine étant déplacés vers la Pologne et une partie des Ukrainiens-Lemkos (environ 200 000 personnes) quittant volontairement la Pologne du sud-est vers l'Ukraine à la suite d'accords bilatéraux signés entre la Pologne et l'URSS, le 9 septembre 1944 et le 16 août 1945. Ces déplacements se déroulent dans un climat de violence, une partie des Ukrainiens étant déportés de force en Ukraine tandis qu'environ 300 000 réussissent à rester dans leurs régions natales, à l'intérieur des frontières de la Pologne.

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Sources:

La Galicie au temps des Habsbourg (1772-1918) - Jacques Le Rider et Heinz Raschel

https://clio-cr.clionautes.org/la-galicie-au-temps-des-habsbourg-1772-1918-histoiresocietecultures-en-contact.html